No et moi
A partir de quand il est trop tard? Depuis quand il est trop tard? Depuis le premier jour où je l'ai vue, depuis 6 mois, deux ans, cinq ans? Est-ce qu'on peut sortir de là? Comment peut-on se retrouver à 18 ans dehors, sans rien, sans personne? Sommes-nous de si petites choses, si infiniment petites, que le monde continue de tourner, infiniment grand, et se fout pas mal de savoir où nous dormons?
Voilà les questions auxquelles je prétendais répondre. Mon cahier est plein, j'ai fait des recherches complémentaires sur internet, j'ai regroupé des articles, découvert des enquêtes, j'ai synthétisé des chiffres, des statistiques, des tendances, mais rien de tout cela n'a de sens, rien de tout cela n'est compréhensible, même avec le plus gros Q.I. du monde, je suis là, le coeur en miettes, sans voix, en face d'elle, je n'ai pas de réponse, je suis là, paralysée, alors qu'il suffirait de la prendre par la main et de lui dire viens chez moi.
Extrait de No et moi de Delphine De Vigan
Lou, treize ans, intellectuellement précoce, est une élève brillante et isolée. Fille unique délaissée par une mère tombée en dépression après la mort d'un bébé et incomprise d'un père aimant mais prisonnier de son impuissance. En classe, les autres élèves l'appellent "le cerveau". Pour Lucas et 'son air de bagarre' - les mauvais garçons au sourire d'enfant, ça a toujours fasciné les fortes en thème -, elle est "Pépite". Dans le cours de l'exigeant monsieur Marin, elle a proposé de faire un exposé sur les sans-abri et d'interviewer une jeune femme SDF. A la gare d'Austerlitz où elle vient régulièrement regarder les gens et les trains partir, elle rencontre No. Mais la connaître, tenter de devenir son amie, ne suffit pas ; l'adolescente se met en tête de la sortir de là, comme on dit, et, avec Lucas, ils lèvent une armée du salut à deux combattants pour une opération de sauvetage, trop grande pour eux.
Une leçon d'humanité